Leurs noms sont régulièrement associés à Patek Philippe, Rolex ou Audemars Piguet, et affolent les collectionneurs lorsqu’ils apparaissent en double signature sur un cadran.

Nommés AD dans le jargon horloger, les Authorized Dealers ont, dès la fin du 19ème siècle, permis à plusieurs marques de distribuer leurs montres dans des pays ou elles n’avaient pas encore de succursales.

Particulièrement recherchées par les amateurs de vintage, les montres avec doubles signatures enflamment actuellement le marché.

Pourquoi passionnent-elles tant les collectionneurs ? Tour d’horizon des pièces les plus incontournables…

Tiffany & Co pour Patek Philippe à New-York, Hermès pour Jaeger-LeCoutre à Paris, ou encore Asprey pour Rolex à Londres… Plus que de simples détaillants, ce furent à une époque de véritables partenaires commerciaux qui permirent aux manufactures les plus prestigieuses de distribuer leurs montres dans des pays où elles n’avaient pas encore de succursales. Dès le début du 20ème siècle, leur nom, synonyme de confiance et de notoriété, fait vendre dans le monde entier à une clientèle qui connait encore peu ou mal les grands noms de l’horlogerie suisse.

A partir des années 1930, une nouvelle pratique se généralise : les revendeurs apposent eux-mêmes leur nom sur le cadran des montres qui leur sont confiées à la vente.

Ces cadrans à double signature sont devenus depuis quelques années extrêmement prisés des collectionneurs. Aujourd’hui, certaines signatures sont même devenues légendaires dans l’histoire de l’horlogerie moderne.

TIFFANY & CO, L’INCONTOURNABLE

Tiffany & Co, c’est incontestablement la double signature la plus recherchée par les collectionneurs aujourd’hui. Le nom « Tiffany & Co » sur le cadran fait grimper les prix en flèche. Dernier exemple en date : une Nautilus 5711 co-signée par le joaillier américain et Patek Philippe s’est envolée lors des enchères de la maison Phillips à plus de 5 millions de dollars en décembre 2021, modèle pour commémorer les 170 ans de partenariat commercial entre ces deux géants du luxe.

Depuis toujours, Tiffany & Co fait vendre plus et plus cher. C’est d’ailleurs ce qui séduit Antoine Norbert de Patek en 1851 lorsqu’il recherche un partenaire et un ambassadeur prestigieux à New York pour positionner sa marque sur le marché américain. Dès 1876, Patek Philippe et Tiffany & Co scellent un accord commercial pour les Etats-Unis, Tiffany devenant « agent général » pour les États Unis et veillera aux intérêts de la manufacture genevoise auprès des riches clients américains.

Cet accord a certainement été un des facteurs majeurs dans le développement de certaines relations avec les clients les plus prestigieux du début du siècle, comme James Ward Packard ou Henry Graves Jr. ces deux collectionneurs qui ont fabriqués la légende de Patek Philippe avec leur course effrénée vers la montre la plus compliquée au monde, réalisée par Patek Philippe en 1933 pour Henry Graves Jr.

Rapidement les plus belles manufactures suisses font aussi confiance à Tiffany & Co pour distribuer leurs montres, ainsi les personnalités les plus célèbres aux États-Unis ont fait confiance à cette institution sur la 5e avenue pour acquérir leurs montres, comme en témoigne la célèbre montre Omega double signature Tifanny & Co. portée par le roi du rock’ n’ roll, Elvis Presley.

CARTIER, LA FRENCH TOUCH

Presque autant désirable, Cartier est une double signature de grande valeur. Présent à Paris, puis Londres en 1902 et New-York dès 1909, Cartier devient l’un des revendeurs de Patek Philippe, Audemars Piguet ou encore Piaget. Aujourd’hui la combinaison Patek Philippe / Cartier reste la plus convoitée, et la montre qui a le plus marqué les enchères ces dernières années est certainement celle ayant appartenu à William E. BOEING. Ce chronographe Patek Philippe en or jaune, ref. 130, commandé spécialement pour le fondateur de la compagnie d’aviation à New-York dans les années 1930 fut vendu près de 500.000€ aux enchères en 2014 lors de la vente anniversaire du 175e anniversaire de Patek Philippe chez Christie’s à Genève.

BEYER, LE PLUS ANCIEN DÉTAILLANT

Si les grandes manufactures développent des partenariats avec des marques de luxe puissantes, certaines entreprises familiales deviennent aussi d’importants partenaires.

Beyer est l’un d’entre eux. Ce revendeur suisse allemand est le plus ancien détaillant de montres au monde. Beyer Watches & Jewellery est fondé à Zurich en 1760. Cette entreprise familiale est aujourd’hui dirigée par la huitième génération et fait autorité sur le marché allemand. Parmi les montres portant cette double signature, l’une des plus remarquables est une réf. 1518 avec calendrier perpétuel et chronographe, produite par Patek Philippe et livré au détaillant en 1942. Cette montre appartient aujourd’hui à la collection du Patek Philippe Museum (Inv. P-696).

LES DOUBLE-SIGNATURES ITALIENNES

Les doubles signatures italiennes sont extrêmement appréciées des collectionneurs. Si Astrua à Turin est célèbre, Gobbi à Milan l’est encore plus. Toujours en activité, ce revendeur Patek Philippe, Rolex, Tudor et bien d’autres, est aujourd’hui dirigée par la 5ème génération. L’une des plus belles pièces vintage présentées dernièrement aux enchères est certainement le chronographe Audemars Piguet vendu 93,600€ en janvier 2019 par Artcurial. Cette montre en acier avait été livrée au détaillant en 1942, période où l’or était beaucoup moins accessible compte tenu du contexte conflictuel.

À Rome, c’est le revendeur Hausmann & Co qui détient l’exclusivité sur les plus belles manufactures suisses. Aujourd’hui, certains modèles avec des configurations de cadrans très rares peuvent devenir une pièce unique grâce à la signature d’un revendeur. C’est exactement le cas d’une Calatrava ref. 3417 en acier vendue près de 60.000€ à Monaco l’été dernier par Artcurial.

SERPICO Y LAINO, DE 1925 À 1966

Une autre signature italienne, la plus énigmatique peut-être, est celle de Serpico Y Laino. Vicente Laino et Leopoldo Serpico quittent l’Italie pour l’Amérique du sud au début des années 1920. Suite à la découverte d’importants gisements de pétrole dès 1914, le Venezuela attire de nombreux investisseurs étrangers. Cette clientèle d’expatriés fortunés inspire Serpico Y Laino qui ouvrent une boutique de luxe à Caracas. Important de Suisse des produits haut de gamme, ils deviennent AD pour Rolex, Patek Philippe, Ebel et Luxor. Durant 50 ans, ils vont apposer leur signature sur les montres qu’ils vendent, l’activité cesse en 1966 lorsqu’un incendie ravage le bâtiment et la société ferme définitivement en 1970 après la mort des 2 fondateurs.

Un prix record est aujourd’hui détenu par un modèle co-signé Patek Philippe, ref. 2499, un chronographe en or jaune vendu plus de 3’355’000 $ par Christie’s le 12 novembre 2018 à Genève.

UNE PRATIQUE ABANDONNÉE DANS LES ANNÉES 1990

Les montres avec double signature sont beaucoup plus rares depuis les années 1990, les principales manufactures ayant consolidé leurs réseaux de distribution grâce à l’ouverture de nombreuses boutiques.

Toutefois, si aujourd’hui les marques horlogères contrôlent davantage leur distribution, elles entretiennent encore des liens étroits avec de prestigieux détaillants. De ces relations commerciales naissent parfois des collections inédites, mais désormais le nom du revendeur n’apparait plus sur le cadran. Par exemple, en 2017 Breguet produit une série de 20 montres spécialement pour Harrods, l’un de ses mythiques partenaires. En à peine 2 ans, ce modèle est devenu collector, son prix atteignant près de 35.000€ en salle de ventes.

Dans le même esprit, Jaeger LeCoultre développe en 2019 une collection spéciale pour De Greef, son célèbre revendeur agréé de Bruxelles. Cette série de 33 pièces émaillées, « L’oiseau de Magritte », est distribuée exclusivement par De Greef, une façon de rendre hommage à la Belgique, à ses créateurs et ses collectionneurs. Cette montre est aujourd’hui un véritable collector, un exemplaire a été vendu près de 45.000€ aux enchères en 2020 à Monaco, un prix record pour un modèle acier de la ligne Reverso sans complication !

Parce qu’elles ont le pouvoir de transformer une référence rare en une pièce unique, les doubles signatures augmentent considérablement la valeur d’une montre.

Si elles font parfois décoller les prix, les doubles signatures nous rappellent surtout qu’il y a encore quelques années l’industrie horlogère s’appuyait sur la réputation d’horlogers indépendants pour vendre ses produits.

Aujourd’hui, les revendeurs agréés les plus célèbres sont devenus des marques à part entière appartenant à ce que l’on nomme « la grande famille de l’horlogerie ».