ROLEX X BUCHERER Une amitié de longue date

 Pour L'oeil de l'expert

« Rolex a acquis un fleuron de la distribution »

Marco Gabella, Rédacteur en chef de Watchonista

Le 25 août dernier, Rolex créait la surprise de l’année. La mythique marque fondée par Hans Wildorf en 1905 annonçait faire l’acquisition du plus gros revendeur de montres : Bucherer. Adresse incontournable bien connue de tous les amateurs d’horlogerie, le détaillant célèbre cette année sa 135e année d’existence ! Fondée à Lucerne en 1888 par Carl F. Bucherer, la maison Bucherer est aujourd’hui l’une des dynasties horlogères les plus puissantes. Retour sur une amitié de longue date ! 

UNE AMITIÉ À 11 MILLIARDS ! 

Bucherer et Rolex sont deux empires horlogers incontournables. L’un s’est établi en tant que revendeur multi-marques, l’autre est aujourd’hui la marque la plus puissante de l’industrie horlogère. Tous deux n°1 dans leur spécialité, en quelques décennies ces deux entités se sont offerte une place de premier choix sur le marché international.

Si Bucherer se positionne comme le premier détaillant mondial avec un chiffre d’affaires estimé à plus de 1,7 milliard CHF, la réussite de Rolex se mesure plus difficilement. Beaucoup plus énigmatique sur ses résultats, la marque la plus puissante de l’industrie horlogère refuse systématiquement de communiquer sur ses performances. La règle d’or ? Aucun chiffre ne sort de chez Rolex, ni aucune indication sur le nombre de montres produites.

Toutefois, d’après la banque américaine Morgan Stanley, en 2022 Rolex aurait réalisé un chiffre d’affaires de 9,3 milliards CHF. À titre de comparaison, Cartier, qui se situe en deuxième position sur le marché de l’horlogerie, génère un chiffre d’affaires de 2,7 milliards CHF ; et Omega, qui se classe à la troisième place du podium, enregistre une performance évaluée a 2,4 milliards CHF.

Occupant près de 30 % des part de marché, Rolex se classe donc très largement devant toutes les autres marques, et devance même de très loin Patek Philippe (1,8 milliard CHF)

ROLEX, N°1 MONDIAL

L’année 2022 marque un tournant décisif dans l’histoire de Rolex. Pour la première fois de son histoire, la marque se positionne n°1 sur un marché plus que prometteur : la Chine. S’imposant comme la marque préférée des Chinois, Rolex détrône Patek Phillippe qui occupait la première place depuis 2012 ! Cet événement reflète l’attractivité grandissante de la marque dont la cote de popularité a littéralement explosé depuis 2020 ! La demande sur les montres Rolex n’a jamais été aussi forte et cet engouement génère des délais d’attente interminables. Malheureusement, le revers de la médaille existe. Les investisseurs voient désormais les modèles iconiques de la marque comme un placement et certaines collections sont devenues des « actifs sûrs ». Daytona, GMT-Master ou Submariner, ces références ont vu leur cote tripler, voire parfois quadrupler entre 2020 et 2022. Les délais pour obtenir une Rolex en boutique n’ont jamais été aussi longs. Pourtant, et paradoxalement, Rolex n’a jamais produit autant de montres qu’aujourd’hui. Certains experts estiment même que d’ici fin 2024, la marque sera en mesure de livrer 2 millions de montres.

BUCHERER UN PARTENAIRE EN OR

Si Bucherer fut fondée par Carl F. Bucherer, il ne faut toutefois pas confondre le revendeur et la manufacture éponyme. Il s’agit de deux entités bien distinctes et l’acquisition faite par Rolex concerne uniquement l’activité de distribution multi-marques.
Il y a 20 ans, Bucherer possédait à peine 20 boutiques. Aujourd’hui, c’est près de 100 points de vente qui se répartissent dans le monde entier, de Copenhague à Las Vegas.
Pourtant jusqu’en 2012, le revendeur ne possédait que 33 magasins, mais l’année 2013 fut le point de départ d’un mouvement d’expansion international. Pour célébrer son 125e anniversaire, la marque s’installe à Paris et y ouvre le plus grand magasin de montres de luxe du monde. Situé 12 Boulevard des Capucines, dans un hôtel Particulier appartenant au groupe Richemont, l’espace de vente se répartit sur 3 étages. En 2017, Bucherer poursuit son expansion avec l’acquisition de 6 boutiques à Londres. En 2018, la marque s’implante aux Etats-Unis en rachetant le groupe Tourneau, le premier revendeur aux USA.
Bucherer est aujourd’hui le revendeur horloger numéro 1 mondial. Distributeur de Rolex, mais aussi de Tudor, le détaillant officie également comme centre de service officiel pour les deux marques.

UNE AMITIÉ DE LONGUE DATE

Durant la période des années folles, Bucherer s’affirme en Suisse et en Europe comme l’une des plus belles adresses du luxe. Proposant des montres et des bijoux signés des plus grands noms de l’horlogerie et de la joaillerie, cette boutique basée à Lucerne en Suisse s’attire une clientèle fortunée et élitiste. Cette solide réputation va séduire Hans Wildorf , qui cherche dès les années 1920, à accroître la visibilité de sa jeune marque de montres. En 1924, Ernst Bucherer, qui a succédé à son père Carl F. Bucherer à la tête de l’entreprise, signe un partenariat avec Hans Wildorf. Bucherer devient ainsi l’un des premiers revendeurs officiels de Rolex.

Comme tous les grands revendeurs, Bucherer apposera son nom sur le cadran des montres revendues. Ainsi, aujourd’hui la fameuse mention « Rolex / Bucherer » compte parmi les doubles signatures les plus recherchées par les collectionneurs, et enregistre régulièrement de très beaux résultats en vente aux enchères.

Bénéficiant d’une côte solide sur le marché des montres de collection, les exemplaires des années 1920 sont déjà très bien cotés. Cette année, un modèle Prince Brancard en acier s’est d’ailleurs envolé pour 19 500 à Monaco (MonacoLegend, vente du 23 avril 2023, n° 2) soit près du double de son estimation.

L’engouement pour cette double signature n’a cessé de grandir depuis 15 ans. En 2009, déjà, Christie’s enregistrait un résultat de 25 000 $ pour un modèle Bubble Back des années 1930 en or rose signé « Rolex / Bucherer ».

À ce jour, c’est la maison Phillips qui détient le meilleur résultat pour une double signature Rolex/Bucherer. Un rare chronographe en acier, ref. 2538, produit vers 1937 qui fut vendu 48 260 CHF. (vente 13 et 14 mai 2023, lot 68). Pour tous les connaisseurs, « Rolex/Bucherer » est une double signature particulièrement excitante, car elle matérialise cette « amitié de longue date » entre les deux géants de l’horlogerie.

Dès la fin des années 1940, Bucherer cesse d’apposer sa signature sur le cadran des montres revendues et cette double signature mythique disparaît. En revanche, le revendeur se spécialise sur la distribution de pièces Rolex particulièrement exclusives. Un modèle OysterQuartz Day-Date, monté sur un rare bracelet « Pyramide » présenté en vente il y a quelques années, illustre à merveille cette tendance (Phillips, vente 28 novembre 2017, lot 896).

Prince Brancard
Chronographe ref. 2538
Day-Date ref. 19028

UNE NOUVELLE STRATÉGIE ? 

Quelle est l’ambition de Rolex avec le rachat de Bucherer ? C’est clairement l’une des questions les plus brûlantes du moment.

La société Rolex, chercherait-elle à prendre la main sur le marché de la distribution ? C’est l’ambition que certains ont cru deviner. Le risque majeur serait alors que Rolex revoit sa distribution et redirige en priorité ses filières d’approvisionnement en faveur de Bucherer. Le risque pour les autres AD Rolex serait alors de ne plus être en mesure de proposer l’offre Rolex / Tudor habituelle, mais une offre plus réduite, qui impacterait alors significativement le chiffre d’affaires des points de vente.

D’ailleurs, le distributeur Watches of Switzerland, concurrent direct de Bucherer, a été directement impacté par l’annonce faite le 25 août dernier. Fondé à Londres en 1924, ce revendeur historique génère environ 55 % de ses bénéfices grâce à la vente de montres Rolex et Tudor. En quelques heures, Watches of Switzerland a enregistré une chute de 22,5 % à la bourse de Londres, signe que les investisseurs ont considéré le rachat de Bucherer par Rolex comme une menace pour les autres distributeurs star.

Mais pour certains experts du marché, l’analyse est différente. Marco Gabella, éditeur du média en ligne Watchonista, confirme qu’il n’y a pas de « tremblement de terre » à prévoir. La preuve la plus parlante est la fidélité hors pair de Rolex à ses détaillants. Il faut souligner que Rolex est l’une des très rares marques à ne pas pratiquer la vente en ligne via son site internet, la vente en boutique étant l’unique moyen de faire l’acquisition d’une montre Rolex, c’est un avantage précieux pour les revendeurs agrées. Il est donc peu probable de Rolex change sa manière de redistribuer ses montres.

Ce rachat serait en revanche motivé par la volonté de Rolex de protéger sa position privilégiée sur le marché. Aujourd’hui, la marque à la couronne détient à elle seule près de 30% du marché de l’horlogerie. Et à ce jour, Bucherer, son principal partenaire, est une entreprise familiale dirigée par la 3e génération. Or, pour l’instant, aucun héritier n’a manifesté son désir de reprendre les rênes de cet empire colossal. De toute évidence, la vente de Bucherer se profilait dans les prochaines années.

Pour Marco Gabella, c’est précisément ici que la stratégie se joue : en rachetant Bucherer aujourd’hui, Rolex évite le risque que « cette entité passe dans des mains étrangères ou malveillantes » plus tard. Le rachat de Bucherer par Rolex s’imposait inévitablement. Cette stratégie reste comparable à celle développée en 1931 par le cadranier Stern. Lorsque Patek Philippe, son plus gros client, connaît d’importantes difficultés et frôle la faillite, la famille Stern a fait le choix de racheter son client le plus précieux pour ne pas prendre le risque de perdre un marché qui lui était vital.

Cette parallèle permet de mettre en avant qu’aussi bien dans la vie que dans l’horlogerie, l’union fait la force.

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