L’horlogerie indépendante, sera t-elle la grande tendance de 2023 ?- suite
Les ventes aux enchères internationales qui ont eu lieu l’année passée ont permis d’observer un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur sur le marché de l’horlogerie contemporaine : la montée en puissance de l’horlogerie indépendante.
Si Rolex, Patek Philippe, Richard Mille ou Audemars Piguet dominent le marché, et ont encore renforcé leur leadership en 2022, un engouement de plus en plus prononcé pour les indépendants s’affirme.
Ils s’appellent Maximilian Büsser, Denis Flageolet, Konstantin Chaykin, Vianney Halter ou encore Bart et Tim Grönefeld, et incarnent le renouveau de l’horlogerie indépendante.
Depuis quelques années, leurs montres sont de plus en plus demandées. Pourtant, face au succès grandissant de leur nom et de leur marque, ils restent fidèles à leurs principes et n’augmentent pas le volume de leur production.
Privilégier la créativité à la rentabilité est un choix assumé qu’ils revendiquent pleinement. Pourtant, sur le second marché, les prix de leurs garde-temps ne cessent de grimper !
Et si « le bon moment » pour faire l’acquisition d’une pièce signée par ces génies de la mécanique, c’était maintenant ?
Panorama sur 5 horlogers à suivre de près en 2023 !
MB&F
MB&F, sera-t-elle la star de 2023 ? Une chose est sûre, la marque fondée par Maximilien Büsser fut déjà élue « Horloger de l’année » en remportant l’Aiguille d’or 2022 au mois de novembre dernier, le trophée le plus prestigieux du Grand Prix d’Horlogerie de Genève.
En moins de 20 ans, MB&F, abréviation de Maximilian Büsser & Friends, est devenu l’un des plus beaux noms de l’horlogerie contemporaine. Tout premier laboratoire conceptuel horloger voué à la conception et à la fabrication de petites séries de montres « radicales », MB&F est fondé en 2005 par l’ancien DG de Harry Winston. L’idée ? Oublier la rentabilité et se concentrer sur la créativité. Revisitant les grands principes de l’horlogerie du 19ème siècle, MB&F conçoit des pièces horlogères au design subversif. D’ailleurs, Maximilien Büsser revendique une horlogerie qui prend la forme d’un art mécanique, et conçoit sous son label des machines dont la fonction est de symboliser le temps plutôt que de donner l’heure.
La marque est créée en 2005, mais c’est en 2007 qu’elle lance son premier modèle : Horological Machine N° 1.
S’il on regarde MB&F sous le prisme du « Potentiel Collection », c’est un label extrêmement attractif pour tout amateur de belle horlogerie. D’une part, parce que la marque innove en permanence. Depuis sa création, MB&F a développé plus de 20 calibres… Une performance remarquable ! Peu de marques investissent autant en recherches et développement et concrétisent autant d’inventions sur ce laps de temps !
D’autre part, la rareté est un élément constitutif de MB&F : chaque modèle est décliné en séries limitées, allant de quelques dizaines d’exemplaires à plus d’une centaine.
Si chaque modèle est produit en petite série, la production annuelle de MB&F est en constante baisse depuis plusieurs années ! Un parti pris audacieux et à contre-courant des impératifs de rentabilité qui régissent l’industrie horlogère. Il y a 10 ans, MB&F annonçait produire 285 pièces par an (2013), 10 ans plus tard, la marque annonçait avoir réduit sa production annuelle à 218 pièces (2019) et revendique aujourd’hui sa volonté « de ne pas grandir ».
Une stratégie de développement qui peut paraitre curieuse, mais en parfaite adéquation avec les valeurs de son fondateur. Privilégier le plaisir avant la rentabilité est un business model qui fonctionne et qui porte ses fruits, car depuis son existence MB&F n’a jamais été autant demandé sur le second marché !
Pourtant, si MB&F est entrée très rapidement sur le marché des « collectible watches », la marque reste encore appréciée d’une clientèle très avertie composée presque exclusivement de connaisseurs et d’amateurs de design.
C’est en 2011, grâce à la maison de vente Christie’s que la marque est présentée pour la première fois en vente aux enchères. L’année suivante, c’est la maison Sotheby’s qui inclue ses pièces sur ses ventes d’horlogerie. Depuis 2015, MB&F est représentée lors des plus grandes ventes aux enchères internationales et enregistre des résultats de ventes à la hausse constante. En France, il est encore particulièrement rare de voir des pièces en salle de ventes, seule la maison Artcurial à jusqu’ici osé proposer MB&F dans la sélection de ses ventes.
Si MB&F est une marque ultra forte en devenir dans le secteur de la collection, les prix sont aujourd’hui encore très « accessibles ». Selon les pièces, robots ou montres-bracelets, il est possible de faire l’acquisition d’une pièce à partir de 12 000 €, et les prix peuvent grimper jusqu’à 620 000 €, record absolu obtenu aux enchères pour une pièce unique, modèle Panda, vendue en 2021 (Christie’s, lot 38, Only Watch, 6 novembre 2021).
Parmi les modèles les plus extravagants de la marque, l’on retrouve l’Horological Machine N°9, dont un exemplaire s’est vendu près de 113 000 € récemment aux enchères (Christie’s, lot 2366, 24 Mai 2022) ; ou encore le fameux robot Sherman, un collector très ludique, réalisé en collaboration avec la maison l’Epée, fabriquant historique de pendulettes depuis 1839 ! L’une des dernières pièces présentées aux enchères fut vendue 15 600 €. (Artcurial, lot 620, 20 juillet 2021)
DE BETHUNE
Dans un état d’esprit assez proche de MB&F, De Bethune s’est fait une place de premier choix dans le cercle très fermé de l’horlogerie indépendante.
Créée en 2002 dans le Jura Suisse, De Bethune est un outsider revendiquant une horlogerie futuriste et expérimentale qui n’intègre « aucune réflexion économique ». Derrière cette marque audacieuse – presque insolente – il y a un homme : Denis Flageollet. Ce maître horloger français, fils, petit-fils et arrière petit-fils d’horloger, est aujourd’hui considéré comme l’une des personnalités les plus créatives de l’horlogerie indépendante. Avant d’oser le pari de De Bethune, Denis Flageollet fonde avec François-Paul Journe, la manufacture THA, spécialisée dans le développement de calibres et mouvements à destination de marques comme Cartier, Ulysse Nardin ou même Breguet.
Parce que vivre dans l’ombre des grandes marques de l’horlogerie ne lui suffisait plus, au tout début des années 2000, Denis Flageollet fonde sa propre manufacture. Avec un business model complètement à contre-courant de tous les schémas et codes de l’industrie horlogère, et une production limitée à 500 pièces par an, De Bethune va trouver son public et devenir rapidement une très belle référence pour quelques collectionneurs initiés. En 2011 est l’année de la consécration, De Bethune reçoit l’Aiguille d’Or, plus haute récompense décernée durant le Grand Prix d’Horlogerie de Genève et un public d’amateurs et de collectionneur plus large découvre la marque à cette occasion. Bénéficiant dès lors d’une image de marque forte et d’une demande soutenue, De Bethune va s’introduire sur le marché des ventes aux enchères en 2014. Pendant 5 ans, la marque sera régulièrement – mais timidement représentée – en ventes aux enchères, mais l’année 2019 va être celle de l’explosion des prix ! La côte de la marque connait une ascension fulgurante et voit ses prix doubler, voire parfois même tripler !
Aujourd’hui, les prix oscillent généralement entre 20 000 € et 180 000 € en fonction du modèle et des complications.
À titre d’exemple, récemment, il était possible de faire l’acquisition d’une pièce extrêmement sobre avec réserve de marche, en titane noir et provenant d’une série spéciale éditée à 10 exemplaires pour 23 000 € (Phillips, lot 989, vente du 29 novembre 2022). Un résultat qui encourage à l’acquisition et démontre que l’horlogerie indépendante, si élitiste soit -elle, reste parfois plus accessible que le dernier Daytona !
Les prix sont plus conséquents pour des pièces emblématiques de la marque, comme le modèle DB28, modèle le plus connu de De Bethune, celui avec lequel la marque se fait connaitre du grand public en 2011. Pour Denis Flageollet , le modèle est « si iconique au point d’être un pilier de nos collections » et valorise facilement aux alentours de 150 000 € (Christies, lot 70, « The Dubai Edit », vente du 26 octobre 2022).
À ce jour, le prix record enregistré en ventes aux enchères est 226 000 € pour une pièce unique en titane bleu (Phillips, lot 205, 8 mai 2022), un résultat à la hauteur des prix atteints par certaines manufactures légendaires.
GRÖNEFELD
Si Bart et Tim Grönefeld se font appeler « les frères horlogers », c’est parce que chez eux, l’horlogerie est affaire de famille. Fils et petit-fils d’horlogers, depuis le début du 20ème siècle leur nom est indissociable de l’horlogerie hollandaise. Leur grand-père, Gerhard Louis Grönefeld, ouvre son premier atelier à Oldenzaal aux Pays-Bas. A son décès en 1974, son fils Sief reprend la boutique et l’atelier. Bart et Tim prennent la relève de leur père Sief au début des années 2000. Ils incarnent la troisième génération, et continuent aujourd’hui de faire vivre la marque en la propulsant dans une nouvelle modernité. S’ils développent des montres qui intègrent les principes de l’horlogerie ancienne, ils revendiquent une attirance pour la complexité et le challenge, et aiment préciser que « la simplicité ne les attire pas ».
En 2011, leur talent est reconnu pour la première fois par la Fondation du Grand Prix d’Horlogerie de Genève, et récompensé par le Prix Spécial du Jury.
Depuis, ils ont accumulé près de 10 prix et récompenses, dont le prix de la meilleure montre-chronographe décernée en novembre 2022 encore une fois par le Grand Prix d’Horlogerie de Genève.
Parmi les montres les plus prisées, le modèle « 1941Remontoir » – un nom choisi tout simplement en référence à l’année de naissance de leur père – est le modèle le plus emblématique de la marque, car c’est avec cette montre que les deux frères remportent le premier pris des Temporis Awards en 2016. La spécificité de cette montre : des cornes amovibles fixées grâce à des vis en titane. Un modèle crée en édition limitée, seulement 188 exemplaires, et décliné en divers métaux précieux qui valorisait déjà plus de 30 000 € en 2019 si l’on se fit au résultat enregistré par Sotheby’s (lot 121, vente 24 mars 2019).
Depuis 4 ans, cette marque familiale s’est fait une place sur le marché des ventes aux enchères. À ce jour, le record de prix est détenu par le modèle « Decennium Tourbillon », pour une pièce en platine éditée à 10 exemplaires seulement et vendue cette année plus de 185 000 € par la maison Phillips (lot 134, vente 11 juin 2022).
Encore très confidentielle, cette marque reste aujourd’hui très peu connue du grand public. En effet, les montres Grönefeld sont accessibles uniquement sur liste d’attente…. Puisque la marque ne produit pas plus de 70 pièces par an !
Aujourd’hui, le délai moyen d’attente pour accéder à une montre est d’environ 3 / 4 ans.
KONSTANTIN CHAYKIN
Son nom affole le marché depuis moins de 18 mois : Konstantin Chaykin. Tout droit venu de Russie, cet horloger autodidacte de 47 ans est en train de s’imposer comme le nom le plus « cool » de l’horlogerie indépendante. Membre de l’Académie Horlogère des Créateurs indépendants, il compte parmi les créateurs horlogers les plus talentueux de sa génération.
Les plus beaux témoignages de sa créativité anti-conformiste sont ses « Wristmons », une collection de montres fun avec des cadrans colorés arborant les visages de personnages que l’on adore, comme les minions, une citrouille d’Halloween ou encore le maléfique Joker ! Proposant des montres provocantes à l’effigie des héros de blockbuster américains, c’est surtout une autre vision de la Haute Horlogerie que propose Konstantin Chaykin.
S’il se lance dans l’horlogerie en 2003 avec l’ambition de créer un jour la première montre russe avec régulateur tourbillon, Konstantin Chaykin va d’abord se consacrer pendant des années à la réparation d’horloges de table et de montres-bracelets.
C’est en 2017 qu’il développe la collection « Wristmons », dont tous les modèles sont aujourd’hui particulièrement appréciés et recherchés. La particularité de ses montres réside dans un mécanisme ingénieux qui permet de lire l’heure grâce à la rotation des yeux du personnage.
Ne produisant que 100 montres par an, Konstantin Chaykin est une signature rare et ses « Wristmons » sont très rarement accessibles sur le second marché. Jusqu’en 2021, les très rares pièces qui étaient mises en vente aux enchères se vendaient généralement entre 12 500 et 45 000 € (Christie’s, lot 2259, 27 mai 2019).
Mais en 2021, la maison de vente Christie’s enregistre un prix record de près de 300 000 € pour une pièce unique vendue lors de la vente Only Watch (lot 31, 6 novembre 2021). Ce modèle nommé « Tourbillon Martien », est la première montre équipée d’un régulateur tourbillon qui fonctionne en synchronisation avec la planète Mars. Concrètement, cela signifie qu’elle est dotée d’un nouveau système de mesure du temps : une minute martienne équivaut à 61,65 secondes terrestres. Cette montre est d’une extravagance inédite, mais surtout d’une inventivité géniale !
Si les pièces de Konstantin Chaykin sont rares, elles sont paradoxalement « accessibles ». Ainsi, il est possible – pour l’instant ! – de faire l’acquisition sur le second marché de modèles extrêmement originaux, comme le « Joker Pumpkin » pour moins de 30 000 € (exactement 29 000 € chez Phillips, lot 39, le 11 juin 2022).
Toutefois, les derniers résultats de ventes publiques attestent que le marché des « Wristmons » de Konstantin Chaykin est en train d’exploser. Meilleur exemple : le modèle “Minion” édité à 38 pièces seulement et vendu 13 800 € en premier marché, se vend aujourd’hui plus de 40 000€ sur le second marché. La seule pièce présentée aux enchères à ce jour fut vendue 41 000 € par la maison de vente Ineichen (lot 5, 30 aout 2022).
VIANNEY HALTER
Depuis 1994, Vianney Halter a su imposer son nom sur le marché de l’horlogerie indépendante et se faire une place de premier choix sur ce marché. C’est à Paris que tout commence au début des années 1980, lorsque cet horloger français ouvre son premier atelier. Se consacrant à ses débuts, à la restauration de pendules anciennes et de montres de poche, il met rapidement ses talents au service de grands noms de l’horlogerie en développant avec François-Paul Journe et Denis Flageollet des complications et des prototypes sous le label THA.
En 1989, il fonde sa propre manufacture, « La Manufacture Janvier », en référence à l’horloger et astronome français Antide Janvier. Actif dans la seconde moitié du 18ème siècle, les travaux d’Antide Janvier ont profondément inspiré la philosophie de Vianney Halter et sa démarche créative. Concevoir une montre de manière artisanale, mais dans un style futuriste, c’est probablement ce qui définit le mieux son style très personnel. Passionné de science-fiction, c’est dans l’univers de Jules Verne que Vianney Halter puise ses premières inspirations.
En 1998, Vianney Halter produit sa toute première montre, « Antiqua », un nom évocateur qui reflète parfaitement sa démarche. Ce modèle, qu’il définit comme étant une « relique du futur » deviendra la pièce fondatrice de sa collection « Futur Antérieur » qui se veut une illustration de « ce que pourrait être le futur tel qu’on se l’imaginait à la fin du 19ème siècle ». Depuis 25 ans, Vianney Halter ne cesse de produire des montres au design clairement identifiable et dans un esprit très rétro-futuriste. Depuis 2000, Vianney Halter est membre de l’AHCI, l’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants, et en 2011, il fut nommé par le Grand Prix d’Horlogerie de Genève « Meilleur horloger-concepteur ».
Les montres de Vianney Halter sont particulièrement cotées sur le marché des montres de collection et leur valeur a considérablement augmenté depuis ces 5 dernières années. Selon les modèles, certaines pièces ont pris + 450 % de valeur, à l’image du modèle « Antiqua » justement. Modèle emblématique de Vianney Halter, cette montre, qui était encore accessible pour à peine 50 000 € en ventes aux enchères en 2015, se vend désormais aux alentours de 225 000 €, à l’image de celle vendue par Christie’s et provenant de la collection d’un important collectionneur européen ( lot 169 vente du 10 mai 2021).
Toutefois, les pièces sans complication restent encore relativement accessibles. Parmi les dernières pièces présentées aux enchères et intéressantes pour leur « potentiel collection », nous retenons un modèle : « Classic », une édition spéciale en or rose limitée à 250 exemplaires, vendu 50 000 € (Sotheby’s, lot 13, 9 décembre 2022).
Certaines pièces sont encore plus accessibles, à l’image du modèle que Vianney Halter a réalisé en collaboration avec la marque de luxe Allemande Goldpfeil en 2001. Une montre en or blanc à heures sautantes avec phases de la Lune et éditée uniquement à 108 pièces, et dont le dernier exemplaire présenté en vente publique s’est vendu 35 321 €.