L’horlogerie indépendante, sera t-elle la grande tendance de 2023 ?
Partie 1
Les ventes aux enchères internationales qui ont eu lieu l’année passée ont permis d’observer un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur sur le marché de l’horlogerie contemporaine : la montée en puissance de l’horlogerie indépendante.
Si le vintage à toujours la côte et que les marques dominantes comme Rolex, Patek Philippe, Richard Mille ou Audemars Piguet ont encore renforcé leur leadership en 2022, un engouement de plus en plus prononcé pour les indépendants s’affirme.
Leur principe de création et leur vision de l’horlogerie, s’ils peuvent paraître parfois à contre-courant des tendances commerciales, sont en réalité leur plus belle force.
S’ils furent à leurs débuts connus et encouragés par une poignée de grands connaisseurs, ils sont désormais en train de conquérir le cœur de divers amateurs et leurs montres valorisent de manière exponentielle.
Philippe Dufour, François-Paul Journe, George Daniels, Roger Smith ou encore Christian Klings, ils font vibrer le marché et excitent des collectionneurs, mais savez-vous pourquoi ?
Panorama sur 5 horlogers à suivre de près en 2023 !
PHILIPPE DUFOUR
Le coup de cœur des connaisseurs
Philippe Dufour est l’horloger indépendant qui enregistre les plus beaux résultats en vente aux enchères et sur le second marché actuellement. 4,749,000 CHF, c’est le record absolu obtenu aux enchères pour l’une de ses créations, une pièce unique en or jaune à répétition minutes avec grande et petite sonnerie.
Formé dans la Vallée de Joux en Suisse, c’est en 1967 que Philippe Dufour obtient son diplôme d’Horloger. « Horlogerie compliquée » indique la pancarte sur la porte de son atelier, car presque instinctivement, Philippe Dufour se tourne vers les complications… Et la sobriété ! Dans l’horlogerie de Philippe Dufour, il n’y a pas de tourbillon, de phases de la Lune ni de chronographe. Ses montres ne sont pas chargées de mille complications qui viendraient se contredire, elles sont sobres à l’image de son modèle emblématique « Simplicity » dont un exemplaire fut récemment vendu plus d’un million d’euros par la maison Phillips à Genève (lot 232, vente 5 novembre 2022).
Les pièces techniques et complexes sont souvent réalisées sur commande. En 2017, Philippe Dufour a annoncé travailler sur une Grande Sonnerie à répétition de poche en collaboration avec l’émailleuse d’art Anita Porchet. Une montre réalisée spécialement pour un collectionneur asiatique qui a du patienter quelques années avant que la pièce ne lui soit livrée.
Si ses montres plaisent tant, c’est parce qu’il y a dans sa démarche d’horloger une vision artisanale du métier, voire ancestrale. Philippe Dufour travaille en solitaire et à la main. Cette « lenteur » d’exécution explique le nombre très limité de pièces disponibles et les records de prix enregistrés durant les ventes aux enchères.
Pour Philippe Dufour, plus que les complications, ce sont les finitions qui font une grande montre, ainsi que ses proportions. Trouver un équilibre subtil entre ces deux impératifs, c’est le talent des grands horlogers.
À plus de 70 ans Philippe Dufour continue aujourd’hui de travailler seul dans son atelier car comme il aime rappeler “Je dois bien vivre et, comme indépendant, je n’ai qu’une toute petite retraite. Mais [ … ] je suis heureux. J’aime ce que je fais et chaque montre que je termine me fait plaisir.”
F.P. JOURNE
Une côte qui ne cesse de grimper
François-Paul Journe est un nom qui affole les enchères depuis déjà quelques années. Cet horloger français formé à l’École d’Horlogerie de Marseille, sa ville natale, connaît un succès international.
Dernier résultat marquant : 4 460 000 € ! C’est le prix obtenu en novembre dernier par la maison de vente Christie’s pour un modèle avec grande et petite sonnerie doté d’un rare cadran miroir dit « Blue Petrole » (lot 2111, Legendary & Unique watches, 6 novembre 2022).
Si depuis 3 ans les montres de François-Paul Journe ne cessent de monter en valeur aux yeux des collectionneurs, une nouvelle espèce de « Watch lovers » a également jeté son dévolu sur cette signature : les investisseurs.
À l’origine de cet engouement, il y a une vente aux enchères : l’édition Only Watch 2019. Si Only Watch est une vente caritative, c’est aussi et surtout un rendez-vous horloger qui compte. Pour tous les horlogers indépendants, être représenté à Only Watch et enregistrer un prix à 7 chiffres est un adoubement, une récompense qui fait immédiatement monter sa côte de désidérabilité. Pour le grand public, un prix record est parfois interprété comme le signe d’une signature sur laquelle miser et investir. En 2019, F.P. Journe enregistre un record du monde pour un prototype, Astronomie Blue, avec tourbillon et répétition minute vendu près de 1,8 million d’euros, c’est le résultat qui a déclenché la « Journe Mania ».
Les grandes complications et les complications rares sont l’ADN de F.P. Journe. C’est en revisitant les grands principes de l’horlogerie ancienne que l’horloger a séduit une poignée de connaisseurs exigeants. Avec une production limitée à 900 montres par an, F.P. Journe est une signature rare et donc difficilement accessible. Cette rareté explique la hausse des prix et la désirabilité croissante sur le marché.
GEORGE DANIELS
La référence absolue
Si l’horlogerie indépendante a autant de succès actuellement, c’est grâce à un homme : George Daniels. Autodidacte, il fut le premier horloger à s’émanciper des grandes manufactures dans les années 1970, et commença a développer seul ses propres montres dans son atelier de l’île de Man. Ouvrant la voie sur une tendance qui n’existait pas jusqu’alors, il est une référence et un mentor pour les plus grands horlogers indépendants actuels.
Mais cette démarche ne s’est pas faite en un jour, et il a fallu du temps à l’horloger britannique avant de se lancer sur la voie de l’indépendance, plus de 20 ans exactement. Si George Daniels ouvre son premier atelier d’horlogerie, dédié à la réparation de montres, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c’est seulement en 1968 qu’il lance sa première montre : un tourbillon chronomètre à détente pivotante d’une minute avec indication rétrograde des heures. À la différence des horlogers contemporains, Daniels n’a pratiquement jamais travaillé sur commande.
Plus de 4 millions d’euros, c’est le prix record obtenu par la maison Phillips pour l’une de ses créations en novembre dernier, un modèle Spring Case Tourbillon en or jaune. (lot 27, vente du 5 novembre 2022, The Geneva Auction). Depuis son décès en 2011, les prix connaissent une très nette progression et le marché s’emballe pour ce génie qui n’a certainement pas eu toute l’attention qu’il méritait de son vivant.
Comment justifier un tel prix et un tel niveau de désidérabilité ? Simplement parce qu’il s’agit de l’une des deux seules montres-bracelets que l’horloger réalisa seul à la main durant toute sa carrière, sa production étant principalement orientée vers les montres de poche.
Mais pourquoi George Daniels fascine t-il tant les plus grands connaisseurs ? C’est certainement son ami Sam Clutton qui donne la meilleure piste de réponse : « “Qu’un seul homme puisse avoir la capacité intellectuelle de concevoir un tel mécanisme, la capacité technique de l’exécuter avec une exactitude qui n’a d’égal que celle de presque aucun des grands-maîtres du passé ».
Aujourd’hui, la conception des montres modernes est systématiquement assistée par ordinateur, mais George Daniels fut un horloger d’un autre temps, peut-être le seul à l’aube du 21ème siècle à être capable de créer et d’assembler des mécanismes horloger si complexes sans aucune technologie.
C’est ce génie hors pair qui l’amène à découvrir en 1975 l’une des plus grandes innovations horlogères de ces 250 dernières années : l’échappement Co-axial. Une invention qui sera reprise et développée par Oméga dès 1999 et qui équipe désormais pratiquement tous les modèles de la marque.
Chaque pièce signée George Daniels est réalisée entièrement à la main, ce qui explique qu’au cours de sa vie George Daniels a réalisé uniquement 25 montres (23 de poches et 2 sur bracelets).
C’est un nom qui ne cessera de prendre de la valeur avec les années et chaque pièce qui sera présentée à l’avenir aux enchères sera certainement un événement particulièrement médiatisé.
Pour preuve de l’extrême popularité de Daniels, le 6 novembre 2021, une autobiographie du maître horloger signée et dédicacée a été vendue près de 30 000 € par Phillips (lot 142, vente du 6 novembre 2022, The Geneva Auction).
La Space Traveller II reste la pièce emblématique qui illustre le mieux l’engouement des collectionneurs pour cet horloger de génie, dans sa deuxième version, la plus compliquée des deux, elle fut vendue lors de la vente mémorable de la succession George Daniels en 2012 à Londres chez Sotheby’s pour 1 329 250 GBP puis a repris le chemin des enchères en 2017 avec un nouveau record à 3 960 250 GBP, ce qui est un exemple parfait de la fascination des collectionneurs tous domaines confondus pour ce nom qui reste un monument de l’horlogerie indépendante.
ROGER SMITH
La consécration récente
C’est un nom qui est devenu indissociable de George Daniels, celui de son protégé : Roger Smith, pour qui l’année 2022 fut celle de la consécration ! Avec un record du monde à 788 000 € enregistré en juin à New-York pour une montre Series 2 Open Dial en platine, une pièce réalisée seulement en 4 exemplaires, Roger Smith s’est affirmé comme l’une des signatures les plus chères du marché (lot 11, 11 juin 2022, Phillips).
C’est en 1998 que Roger Smith rejoint l’atelier de Daniels, soit 9 ans après avoir été diplômé du British Horological Institute.
Il fut le seul apprenti et collaborateur de George Daniels, pourtant cette complicité entre les deux hommes était loin d’être évidente. Roger Smith commence sa carrière au SAV de Tag Heuer, mais désirant se consacrer à la Haute Horlogerie, il sollicite Daniels pour devenir son apprenti, malheureusement Daniels refuse. Déterminé, Roger Smith quitte Tag Heuer pour se lancer seul à la réalisation de sa première montre de poche : un tourbillon avec échappement à détente. Après 18 mois de travail acharné, il présente sa réalisation à George Daniels, qui pas tout à fait convaincu lui demande de réaliser une autre pièce. 5 ans plus tard, Roger Smith présente une seconde montre de poche avec tourbillon et calendrier perpétuel. Daniels est épaté et accepte de le former durant 3 ans. À l’issue de cet apprentissage, Roger Smith créé son propre atelier, situé juste à côté de celui de son mentor, sur l’île de Man.
On estime qu’environ 120 montres auraient été réalisées par Roger Smith depuis ses débuts.
Si aujourd’hui aucune pièce portant sa signature ne se vend en dessous de 500 000 €, l’horloger s’est fait tout récemment une place sur le marché des enchères, en 2016 exactement. En 2014, l’une de ses montres avait été présentée pour la première fois par Sotheby’s, mais était restée invendue faute d’acquéreur.
Dernièrement, l’une de ses réalisations a été vendue 530 000 € aux enchères (lot 845, 29 novembre 2022, Phillips).
Roger Smith incarne un savoir-faire horloger exceptionnel et est considéré par les connaisseurs et collectionneurs comme l’héritier de George Daniels. À ce titre, aucune de ses pièces ne semble être susceptible de connaître une dépréciation, et son nom restera probablement l’une des signatures les plus prestigieuses de l’horlogerie indépendante.
CHRISTIAN KLINGS
La signature allemande
C’est un nom allemand encore peu connu du grand public, mais extrêmement prometteur : Christian Klings. Cet « horloger-artiste » – comme il se défini lui-même – a installé son atelier à Dresde, ville qui abrite les racines de l’horlogerie allemande, il y a près de 30 ans déjà.
Ne travaillant que sur commande, Christian Klings réalise des pièces d’une extrême complexité pour une poignée de collectionneurs avisés.
Sa spécialité ? L’innovation et le développement de nouvelles complications dans la plus pure tradition horlogère. Certaines de ses réalisations ont nécessité plusieurs années de développement comme par exemple la dernière montre vendue aux enchères : un tourbillon à détente automatique, une première mondiale en horlogerie. Cette pièce s’est envolée à 165 000 € (lot 25, 5 novembre 2022, Phillips). Cette complication extrêmement ingénieuse fut difficile à élaborer, pour preuve Christian Klings démarra la réalisation de ce projet en 2001 pour finalement l’achever en 2016. Une persévérance encore plus appréciable lorsqu’on sait que Christian Klings réalise lui-même tous ses dessins à la main et n’a jamais recours à l’assistance par ordinateur.
C’est en 2017 que Christian Klings a considérablement gagné en visibilité et a pu bénéficier d’une renommée internationale en étant pour la première fois représenté sur Only Watch. Depuis, quelques rares pièces ont été présentées en vente aux enchères. Si les résultats de ses créations horlogères oscillent aujourd’hui entre 165 000 € et 252 000 €, la vraie question est « Pour combien de temps encore ?».
Christian Klings est un nom qui devrait encore gagner en visibilité cette année !