QUAND LE DIGITAL PROPULSE LES VENTES D’HORLOGERIE ANCIENNE

 Pour L'oeil de l'expert

Depuis le 14 mars, la maison de vente française Artcurial a inauguré un nouveau concept de vente, Horological Timepieces, un format 100 % digital dédié à l’horlogerie ancienne. Spécialité réservée aux connaisseurs et aux collectionneurs avertis, les montres anciennes réapparaissent de plus en plus dans le paysage des enchères, depuis la période du Covid-19, et le plus souvent sur le mode online only.

Un marché resté confidentiel depuis plusieurs années, mais que certaines maisons, comme Sotheby’s, ont pourtant toujours su mettre en avant. De la mémorable vente The Time Museum, qui eu lieu le 2 décembre 1999 à New York, aux récents succès de The Masterworks of Time en 2019, ces ventes successives qui s’étalèrent durant toute la période Covid, reparties entre les grandes capitales, Genève, Londres, New York et Hong Kong, Sotheby’s a su allier à la fois ventes live et ventes online only. Rassemblant plus de 800 pièces d’horlogerie et couvrant 500 ans d’histoire de l’horlogerie, The Masterworks of Time aura été un marqueur important, démontrant que les montres anciennes ont un très fort potentiel sur le format online only tout comme sur le format live.

Horological Timepieces, des pièces rares à découvrir chez Artcurial

S’inscrivant dans la tradition de la belle horlogerie ancienne, Horological Timepieces, propose des montres anciennes, des horloges et de la documentation. Parmi les pièces dite « revival », c’est à dire dans le goût de la Renaissance et produites à la fin du XIXe siècle dans une mode Néo Renaissance, cette étonnante montre en forme de livre suscitera certainement la curiosité de nombreux collectionneurs (lot n°2). Si son design reprends le style des montres produites au 16ème siècle en Allemagne, cette montre souligne la créativité des horlogers qui fabriquèrent les premières montres primitives – dont les principaux centres de fabrication se situaient alors à Augsbourg, Munich et Nuremberg.

Lot 3 - Horological Timepieces
Hans Koch, circa 1580 Ashmolean Museum, Oxford

À ce jour, peu de montres en forme de livres sont répertoriées et celle-ci, équipée d’une grande bélière, illustre parfaitement la mode des premières montres portatives. La montre livre la plus impressionnante est certainement celle produite vers 1580, par l’horloger Hans Koch, l’un des principaux fabricants du sud de l’Allemagne, et qu’il est possible d’admirer aujourd’hui au Ashmolean Museum d’Oxford.

Lors de la vente The Masterwork of Time, une montre en forme de livre avait été adjugée 13 000 £, il n’est donc pas impossible que cette pièce entraîne une belle bataille d’enchères! 

Le marché de l’horlogerie ancienne en France

En France, le marché de l’horlogerie ancienne est particulièrement fort car l’on y recense de nombreux passionnés et quelques collections incontournables, comme celles du Musée du Louvre, ainsi que les collections exceptionnelles du château d’Ecouen. En 2019, Artcurial s’affirme dans cette spécialité en dispersant un ensemble de montres de poche provenant des collections la Fondation Napoléon.

William Ilbery

Une vente lors de laquelle plus de 270 objets, dont des montres anciennes émaillées de la fin du XVIIIe siècle et milieu du XIXe siècle, sont mis aux enchères.

Ces montres avaient intégré les collections de la Fondation Napoléon en 1984, suite au legs de l’industriel français Martial Lapeyre, fondateur du groupe Lapeyre. Grand amateur, il avait constitué la majeure partie de sa collection entre les années 1960 et 1980.

Parmi les horlogers les mieux cotés, l’on retrouvait des pièces de William Ilbery, l’un des plus grands horlogers de luxe londoniens de la fin du XVIIIe siècle et des débuts du XIXe siècle, dont une montre produite pour le marché anglais s’est envolée à plus de 30 000 € (lot 57, 9 décembre 2019).

Léo Juvet

Autre horloger extrêmement prisé des collectionneurs, Léo Juvet, notamment pour ses montres destinées au marché asiatique. La famille Juvet est l’une des familles d’horlogers suisses les plus réputées. Fondé en 1842 à Buttes par Édouard Juvet, l’atelier se déplace à Fleurier en 1845, et son fils Léo développe les activités commerciales en Asie où la maison installe d’ailleurs des succursales, à Tien-Tsin et Saigon. Une montre en or émaillée représentant une scène de genre fut adjugée 65 000 € (lot 66, vente 9 décembre 2019), un prix remarquable lorsque l’on sait que ces montres étaient généralement produites en paire, et que seule leur valeur est en principe plus faible.

Edouard Bovet

Edouard Bovet s’est également illustré dans le commerce de montres émaillées, et est considéré comme le premier horloger suisse à se rapprocher du marché asiatique vers 1818. C’est d’abord vers l’Angleterre, qui est alors la plaque tournante du marché horloger, qu’il se dirige en 1814, avant d’ouvrir en 1822 une succursale à Canton. Dès lors, toute la production de l’atelier de Fleurier sera destinée au marché chinois. Les montres de poche Bovet y rencontrent un succès considérable et deviennent même une monnaie d’échange dans certaines parties de la société. Aujourd’hui Bovet reste une signature particulièrement recherchée par les collectionneurs. Pour preuve, un modèle en or émaillé et serti de perles fines fut vendu 54 600 € (lot 89, 9 décembre 2019).

Tabatière à oiseau chanteur

La dernière vente d’envergure en France fut dirigée par la maison Aguttes en 2022. Intitulée « Une Histoire du Temps, ancienne collection B », cette vente rassemblait un ensemble de près de 100 pièces choisies avec goût et rigueur par un passionné français durant 40 années. La dispersion de cette collection unique rassembla les amateurs du monde entier sur le live de Drouot.com et la pièce maîtresse, une tabatière à oiseau chanteur réalisée par les célèbres Frères Rochat, s’envola à près de 330 000 €. (lot 60, 28 septembre 2022).

Cet objet emblématique de l’art horloger et du génie mécanique du 19ème siècle se démarquait par un état de préservation exceptionnelle et par une provenance légendaire : « Ancienne Collection du Roi Farouk ».

Vendu avec son écrin d’origine et un second écrin signé « Berry Hill London New York », cet oiseau extraordinaire est probablement passé entre les mains des célèbres frères Henry et Sidney Hill. Antiquaires et marchands d’arts installés à New-York, ils l’auraient ensuite vendu au Roi d’Egypte. Collectionneur de la démesure, le Roi Farouk a acquis durant les 15 années de son règne des pièces exceptionnelles dans tous les domaines : horlogerie, joaillerie, automobiles de collection, numismatique ou orfèvrerie… Une incroyable collection que la maison Sotheby’s avait eue le privilège de disperser en 1954 lors de la mythique vente The Palace Collections of Egypt.

C’est lors de cette vente que cette sublime tabatière en or émaillé avait été acquise par le collectionneur français, qui 68 ans plus tard, la confiait au commissaire-priseur Claude Aguttes.

Ad Hochenadl

Redécouvrir les horlogers du passé

Grâce au digital, les plus grandes maisons de ventes internationales donnent la possibilité aux amateurs de revenir aux fondamentaux de l’horlogerie et de parfaire leur culture ainsi que leurs connaissances.

Horological Timepieces nous aide à bien comprendre le rôle qu’ont pu jouer les horlogers à travers toutes les époques, comme au XVIIIe siècle, les Frères Esquivillon & Deschoudens à Genève, Winstead à Londres ou encore Ad Hochenadl à Venise, ayant marqué de leur emprunte l’histoire de l’horlogerie.

A l’image des ventes orchestrées sur les montres anciennes ces dernières années, Horological Timepieces en tant que nouveau concept online only, permet d’ouvrir ce pan du secteur de l’horlogerie ancienne aux amateurs et connaisseurs, mettant tout à la fois en lumière des horloges célèbres en leur temps, dans le précis ayant été des témoins privilégiés de l’histoire de la belle horlogerie artisanale au XVIIIe et XIXe siècle.

Taly à Besançon

Taly à Besançon

Une montre de col pour femme (lot 37), au boîtier entièrement pavé de brillants et au cadran signé Taly à Besançon nous rappelle le rôle qu’a joué cette ville de Franche- Comté dans l’histoire de l’horlogerie française. À l’intérieur du boîtier, on peut y lire un poinçon bien connu, celui de la Société Générale Or, une fabrique de boîtier incontournable qui s’installe à Besançon, au 21 rue Gambetta, en 1880. C’est à la fin du 18ème siècle, avec l’installation de quelques horlogers suisses, que Besançon devient la capitale française de l’horlogerie. En 1880, la ville produit déjà 90% des montres françaises. Ce monopole perdure jusqu’aux années 1970 et fera la fierté de la région, grâce notamment aux manufactures Lip, Yema, Zénith ou encore Dodane.

Cette montre suscitera l’intérêt des collectionneurs souhaitant conserver un témoignage de ce riche passé horloger.

Boule de Genève

L’incontournable « Boule de Genève »

Elle fait inévitablement partie de la sélection (lot 39). En émail translucide vert rehaussé d’étoiles et de fleur de lys dorées, cette montre est vendue avec sa chaîne assortie et son écrin d’époque.

Au 19ème siècle, les montres dites « de forme » sont à la mode. Les horlogers doivent alors redoubler d’ingéniosité et imaginer des mouvements minuscules, capables de s’adapter aux formes de boîtes les plus improbables. C’est à cette époque que la « Boule de Genève » apparaît. Cette minuscule montre féminine dissimule un mouvement, composé de 3 platines superposées, emboîté dans un pendentif sphérique. Se portant en sautoir, cette montre collier est généralement en or ou en métal doré et son boîtier recouvert d’un élégant émail translucide.

De grands horlogers comme Marius LeCoultre, Paul Ditisheim ou Henri Capt vont être parmi les premiers à réaliser ces mouvements si spéciaux pour les plus belles manufactures. Très en vogue jusqu’aux années folles, la « Boule de Genève » est la montre féminine par excellence. À noter, les pièces tardives sont généralement équipées d’une couronne de remontoir.

Meyer à Paris

Meyer à Paris

Une ravissante montre en or, émail et entourage de perles signée Meyer à Paris plaira certainement aux amateurs pour la beauté et la qualité de son émail, mais aussi pour sa signature (lot 27). Louis Meyer, est un horloger célèbre pour son ouvrage « L’horloger Bijoutier Amateur ou les secrets de l’horlogerie dévoilés » publié en 1900. Ce recueil de précieux conseils à destination des apprentis horlogers ou des amateurs livres toutes les astuces à connaître pour nettoyer, régler, ou réparer les montres. Installé au 63 rue Lamotte Piquet (XV arr.), Meyer est un horloger et un revendeur incontournable à Paris au 19ème siècle.

Isaac Soret & Fils

Isaac Soret & Fils

Isaac Soret (1673-1760), horloger genevois, fils du maître horloger Barthélémy Soret, a une production bien particulière, car il ne réalise qu’un seul et unique type de calibre. Une stratégie héritée de son père, qui lui permet d’augmenter sa capacité de production et ainsi de faire prospérer son activité. À sa mort, son fils David reprend la fabrique et la maison perdure sous le nom de Isaac Soret & fils. Durant 3 générations successives, l’on retrouve exactement les mêmes calibres de mouvements. (lot n°15)

Elliocott, London

Elliocott, London

Une pièce signée Elliocott avec répétition des quarts suscitera également certainement beaucoup d’intérêt (lot n°20). Horloger britannique qui fut notamment le fournisseur attitré du roi Georges III, John Ellicott est un l’un des plus noms de l’horlogerie du 18ème siècle. Ses montres en or avec double boîtier à décor repoussé enregistrent toujours de beaux résultats.

Cette vente invite à un véritable voyage dans le temps en proposant des pièces importantes et décisives, mais aussi des montres plus modestes qui en disent long sur l’histoire de l’horlogerie en France et en Europe.

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