Difficile de définir en quelques paragraphes le travail de cet horloger de génie qui a su élever la fabrication horlogère au rang d’œuvre d’art. Dans sa carrière il ne réalisera que 37 pièces lui-même, avant de réaliser sa fameuse série de montres bracelets appelée Millemium pour célébrer le passage à l’an 2000, en collaboration avec le talentueux horloger indépendant Roger Smith.
Il n’était donc pas étonnant que la maison Sotheby’s qui organise la vente à Londres fasse appel à Roger Smith pour une introduction sur l’œuvre de George Daniels au travers de cette petite sélection de garde-temps. Ce dernier décrit avec précision l’importance de chacune de ces pièces pour les remettre dans leur contexte historique.
De ce premier chronomètre de marine signé George Daniels (lot 119) à la maîtrise parfaite de l’art horloger avec son chef d’œuvre la Space Traveller II (lot 121) on découvre le travail de cet horloger qui a su repousser les limites techniques et inventé l’échappement co-axial qui se trouve dans sa dernière série de montres bracelets Millenium (lot 122).
Mais il est une pièce remarquable qui a su attirer l’œil de l’expert, cette réplique de Breguet définie comme la pendule à trois roues, Breguet et Fils No. 3225, qui en dit long sur tout le travail de George Daniels et l’influence du célèbre horloger Abraham-Louis Breguet (1747-1823) dans son travail.
Louis Breguet, source d’inspiration pour George Daniels
Cette œuvre réalisée en 1968 avec l’assentiment de Mr Brown propriétaire de la maison Breguet à l’époque, qui délivra à l’époque un certificat Breguet, témoigne de l’importance de Breguet dans l’œuvre de Daniels. Par bien des aspects, cette pièce au-delà de sa réalisation parfaite est un point de départ de la relation qui lia George Daniels à son illustre prédécesseur, afin de mieux comprendre son œuvre et sa vision de l’horlogerie mécanique.
Des années plus tard George Daniels rédigera ce qui reste aujourd’hui l’ouvrage de référence sur Breguet, L’Art de Breguet, dans lequel nombre d’experts puiseront les informations essentielles à la compréhension d’Abraham Louis Breguet et ses innombrables réalisations. En reprenant la phrase de Talleyrand à propos d’Abraham Louis Breguet « Ce diable de Breguet veut toujours faire autrement que mieux », on peut dire que George Daniels a suivi aussi cette maxime.
Si deux siècles les séparent, il est évident que le travail d’Abraham Louis Breguet a été une source d’inspiration pour George Daniels qui a su toujours repousser les limites de ce qui se faisait dans l’horlogerie jusqu’alors. Si l’on considère Breguet comme le père de l’horlogerie moderne, il est aisé de dire que Daniels a contribué au renouveau de la montre mécanique pendant la grave crise horlogère du quartz dans les années 70.
En témoigne son chef d’œuvre horloger la Space Traveller II (lot 121) qui nait en 1982, un an avant l’arrivée de la fameuse Swatch, la montre Swiss Made à quartz qui révolutionna toute l’industrie horlogère suisse. L’aspect symbolique de cette montre va bien au-delà de toutes ses complications, elle témoigne de la vision d’un homme a donné le meilleur de lui-même pour repousser les limites de l’horlogerie traditionnel.
Si l’horlogerie indépendante Suisse est aujourd’hui l’une des stars des ventes aux enchères avec des collectionneurs qui s’arrachent des pièces à grandes complications signées FP Journe ou Philippe Dufour et tant d’autres, ils le doivent à la vision de George Daniels qui a su dans des temps difficiles toujours se concentrer sur l’art de l’horlogerie mécanique.
Au-delà des complications qui sont très nombreuse sur cette montre, la Space Traveller II est un chef d’œuvre de l’histoire de l’horlogerie qui concentre certainement ce qu’il y a de plus noble dans la Haute Horlogerie. Si le terme Haute Horlogerie est aujourd’hui utilisé afin de définir au mieux la qualité et l’excellence dans l’horlogerie contemporaine, je dirai que l’on pourrait tout simplement prendre la Space Traveller II pour en faire l’exemple parfait.
George Daniels utilisait cette montre dans les occasions bien particulières, il n’est donc pas étonnant d’imaginer qu’elle était pour lui l’accomplissement d’une vie, une sorte de Graal qui lui avait permis de dépasser ses propres limites. Et pourtant, il n’aura de cesse de se remettre en question pour explorer, innover et finalement aboutir à l’accomplissement ultime, son échappement Co-Axial qui équipe aujourd’hui la quasi-totalité de la production Omega.
La rencontre de deux génies du monde de l’horlogerie
On peut d’ailleurs comprendre aisément la rencontre des années plus tard entre deux génies, George Daniels et Nicolas Hayek, ce dernier fondateur du plus grand groupe horloger au monde, ayant compris l’importance de cet échappement Co-Axial pour les mouvements mécaniques de ses montres Omega, marque phare du Swatch Group.
Mais le père de la Swatch qui révolutionna l’industrie horlogère au début des années 80 pour la faire renaître de ses cendres, avait comme George Daniels un esprit visionnaire sur le monde de l’horlogerie et les défis qui sont encore aujourd’hui la pierre angulaire de ses plus belles réussites, à savoir concilier un monde de traditions et d’innovations qui doit se tourner en permanence vers les différentes prouesses techniques pour relever les défis de demain.
La rencontre entre George Daniels et Nicolas Hayek lors du nouveau millénaire pour la mise en pratique de la production de la chaîne de production des mouvements Omega Co-Axial, n’est sans doute pas un hasard puisque l’un et l’autre avaient une passion commune et une admiration pour Abraham-Louis Breguet, le jardin secret de Nicolas Hayek pour lequel il mis toute son énergie à mettre en valeur le patrimoine historique, allant jusqu’à la reconstruction de la fameuse Breguet No. 160 dite « Marie Antoinette » en 2008.
George Daniels, symbole de l’horlogerie mécanique
George Daniels, une figure du monde de l’horlogerie, considéré par beaucoup comme le plus grand horloger du XXe et XXIe siècle, a toujours su donner ses lettres de noblesses à l’horlogerie mécanique, comme en témoigne les pièces de cette vente : un chronomètre, une pendule, une montre de poche et montre bracelet. Au travers de sa très faible production, il a su sublimer l’horlogerie traditionnelle et l’élever au rang d’une œuvre d’art.
Autant de facettes dans son travail qui démontrent que cet horloger a su montrer le meilleur dans tous les domaines, il a su explorer tel un artiste tous les recoins de l’horlogerie pour bien mettre en avant sa passion pour la mécanique. Horloger émérite et passionné, il a donné le meilleur de lui-même pour sublimer l’art horloger, son œuvre perdure encore aujourd’hui au travers de la fondation qui porte son nom afin de former les horlogers de demain.
Dr. George Daniels, Commandeur de l’Empire Britannique, passionné également par toutes sortes de mécaniques diverses, comme les automobiles, aura su sublimer son art au-delà des plus hauts standards de sa profession d’horloger, il l’a élevé au rang d’œuvre d’art. Chacune de ses œuvres sont unique, elles sont le reflet de la vision d’un homme, de sa rencontre avec le monde de l’horlogerie traditionnel, qui fut la passion de toute sa vie.
Ayant rencontré Roger Smith lors de la vente George Daniels chez Sotheby’s en 2012, je me souviens qu’il n’utilisait jamais le terme anglais de « workshop » pour parler de l’atelier de fabrication de George Daniels dans lequel il travailla pendant des années mais plutôt celui de « studio » qui signifie de manière littérale « atelier d’artiste ». En revoyant ces merveilleuses pièces horlogères et me remémorant les termes précis de Roger Smith, je comprends maintenant qui était George Daniels, il était avant tout un « artiste-horloger » qui éleva son travail vers les sommets de la création horlogère.