Les directeurs de la maison de vente Antiquorum à Genève, Etienne Leménager et Julien Schaerer, peuvent s’enorgueillir d’avoir dénicher ce trésor composé de plusieurs pièces émaillées anciennes, pour certaines de qualité muséale. Depuis longtemps à Genève lors des ventes bi annuelles de mai et novembre, il n’était pas arrivé d’avoir une telle concentration de pièces aussi exceptionnelles dans le domaine des montres de fantaisie, émaillées et automates.
Si les montres bracelets composent souvent la plupart des catalogues de ventes aux enchères dans la spécialité, il est important de remettre l’histoire de l’horlogerie en perspective avec des pièces rares qui nous ramène vers les plus prestigieuses collections dispersées aux enchères comme celles du Roi Farouk chez Sotheby’s en 1954 ou encore la Collection Lord Sandberg chez Antiquorum en 2001. Il est un fait, les montres émaillées de fabrication genevoises du début du 19e siècle sont un ravissement pour l’œil de l’expert.
Nul doute que cette collection a tout de suite su attirer « l’œil de l’expert », ce qui m’a conduit tout naturellement à prendre la plume pour vous délivrer mes premières impressions sur les pièces emblématiques. De mémoire, le dernier exemple reste la collection privée dispersée par Antiquorum le 11 octobre 2003 à Genève, dans laquelle figurait déjà l’une des fameuses Mandolines Napolitaines, dont il n’existe que deux paires, fabriquées pour le marché chinois.
Si la réapparition sur le marché de l’horlogerie de l’une des Mandolines Napolitaines était un événement à l’époque, il ne fait aucun doute que cette fois les deux mandolines napolitaines figurant dans cette collection seront les pièces phares des ventes genevoises à Genève en mai prochain. A l’origine, ces deux mandolines formaient une paire pour le marché chinois, elles ont été séparées par le temps et le miracle des enchères nous donne l’occasion de retrouver le pendant de chacune d’entre elle, comme le miroir d’un temps perdu.
L’une de couleur verte étant le pendant de la collection Hans Wilsdorf chez Rolex et la suivante rouge vif étant le pendant de celle conservée dans les collections du Patek Philippe Museum, c’est une occasion unique pour les conservateurs de reconstituer ces deux paires. Lorsque l’on sait que ces deux objets symbolisent à la fois le raffinement esthétique et la prouesse technique de l’horlogerie genevoise, elles seront attirer l’œil du collectionneur averti.
Ces deux magnifiques mandolines surprennent par leurs dimensions, elles mesurent près de 13 cm de long ce qui est unique dans les montres de fantaisie dont la taille habituelle est beaucoup plus petite. Au-delà de leur aspect décoratif sublime avec cet émail translucide de couleur vive dans un entourage de perles, chacune abrite en son centre un cadran de montre ainsi qu’un automate à la balançoire, le mécanisme étant doté à la fois d’une musique et d’une répétition à quarts, l’ensemble signé Piguet & Meylan vers 1820.
Si la ville de Genève est au cœur de toutes les fabrications de montres de fantaisie sous des formes diverses allant des fruits aux instruments de musique pour la plupart, le nom de Piguet & Meylan reste le plus prestigieux dans cette fabrication horlogère si délicate, alliant différents Métiers d’Arts. D’un point de vue historique, ces deux mandolines peuvent être considérées l’une et l’autre comme un véritable chef d’œuvre dans l’histoire de la montre de fantaisie.
Il n’est donc pas étonnant que leur estimation respective soit de 1 à 2 millions CHF, soit près de la moitié de l’estimation de l’ensemble de cette collection évaluée aux alentours de 4 à 6 millions CHF. Une estimation conservatrice pour une collection privée restée à l’abri des regards depuis plusieurs décennies, dont la seule mention était évoquée par Antiquorum Vox dans un article daté de 2003.
Si mon attention a été attiré par ces deux pièces exceptionnelles, il ne faut pas oublier le reste de cette collection composée d’environ 80 pièces tout aussi variées dans le domaine des montres émaillées et automates. Nous avons retenu quelques pièces qui illustrent bien cet ensemble homogène rare et atypique par la diversité des pièces d’horlogerie sous différentes formes.
Les montres artistiques
Parmi les pièces emblématiques, nous retiendrons également le fameux pistolet à parfum en or et émail attribuée à Moulinié Bautte & cie, Genève, vers 1806. Parmi les réalisations les plus délicates de cette période, cet objet de curiosité doté d’un mécanisme horloger complexe donne la possibilité à son utilisateur de projeter des senteurs parfumées à l’aide de son automate avec déclenchement à la demande sur la gâchette laissant entrevoir un vaporisateur au bout du canon.
Si les automates sont parmi les réalisations les plus complexes dans le domaine horloger, on ne peut parler de cette vente sans citer ces deux montres qui symbolisent à elles seules le travail exceptionnel des horlogers et émailleurs genevois du début du 19e siècle. La première en émail avec répétition des quarts, signée Piguet & Meylan, est typique de cet apogée de l’horlogerie genevoise avec ces maîtres artisans émailleurs et horlogers.
Cette montre se distingue par le souci du détail apporté dans sa réalisation avec un émail au dos représentant « l’allégorie de l’hiver » signé par Jean-Abraham Lissignol, le boîtier par Frères Oltramare, et son mécanisme de sonnerie, le parfait mariage entre l’esthétisme et la technique. Une véritable pièce de collection pour les amateurs de montres anciennes, elle combine à la fois les couleurs vives et inimitables de la peinture sur émail allié à la complexité pour le mouvement.
Cette thématique des saisons a souvent été utilisé par les artisans genevois à l’époque. Si les heures et les minutes rythment nos journées tout au long de l’année, les saisons sont représentées sous forme de portraits de jeunes femmes en tenue pour la circonstance. Un véritable trésor pour les amateurs de montres décoratives avec la signature d’un émail de grande qualité, dont certains exemples sont aujourd’hui conservés au Patek Philippe Museum.
La dernière de notre sélection intitulée « Le Pêcheur » regroupe à elle seule tous les aspects décoratifs et techniques de cette collection. Attribuée à Henry Capt, Genève et datée vers 1790, cette montre en or avec automates jacquemart, répétition des quarts, laisse entrevoir un petit pêcheur à l’aide d’une ouverture centrale sous un pont de plusieurs couleurs d’ors, donnant un effet de profondeur. Cette montre témoigne de l’univers de ces merveilles, montres et automates, qui ont jalonnés l’histoire de l’horlogerie entre la fin du 18e et le début du 19e siècle à Genève.
Si l’horlogerie est un art, cette montre l’illustre parfaitement au travers de ce travail à la fois d’orfèvre dans le décor de plusieurs couleurs d’ors pour donner de la perspective ainsi que le fond en émail peint à décor de ruines à l’antique, avec les deux putti au centre qui symbolisent le « temps de l’amour » sur une cloche. Si l’horlogerie devait rimer avec poésie, nous pourrions sans nul doute l’illustrer au travers de cette collection unique.
Aussi, je tiens à remercier chaleureusement les deux experts et amis chez Antiquorum pour avoir partagé cette découverte, Etienne Leménager et Julien Schaerer, l’un expert et l’autre également commissaire-priseur, une belle bataille d’enchères en perspective le 14 mai 2017 sous la bannière du pionnier des enchères horlogères depuis 1974.
En s’inspirant de l’œil averti de ce collectionneur qui a assemblé toutes ces merveilles, nous aborderons dans les prochaines semaines sur le Blog une nouvelle rubrique avec à chaque fois une pièce phare du marché des enchères intitulé « l’œil du collectionneur » sans lequel « l’œil de l’expert » n’existerait pas. A bon entendeur salut !!!
GEOFFROY ADER